Quand la microbiologie rencontre la science des matériaux et les techniques d’imagerie de pointe pour mieux comprendre les interactions symbiotiques

Un consortium de scientifiques, piloté par des chercheurs CEA et CNRS de l’Institut de Biosciences et Biotechnologies d’Aix-Marseille (BIAM), vient de révéler la symbiose entre organismes microbiens, dont les propriétés magnétiques leur permettent de naviguer collectivement dans les sédiments. Ce travail, publié dans le journal Proceedings of the National Academy of Science, ouvre la voie vers l’application d’approches interdisciplinaires devenues possibles entre la science des matériaux et celle des organismes microbiens, pour comprendre les mécanismes associés à l’émergence de nouvelles fonctions chez le vivant.

L’étude des interactions du vivant à l’échelle microscopique serait encore aujourd’hui inaccessible sans l’interdisciplinarité de scientifiques armés de technologies de pointe. En effet, le résultat du croisement de leurs travaux a aujourd’hui permis de révéler une singulière association entre des bactéries magnétotactiques et leur hôte, un eucaryote unicellulaire (i.e. protiste).

Pour comprendre l’intérêt de la présence des bactéries attachées à la surface du protiste, il faut avoir conscience de toute l’ingéniosité d’adaptations environnementales dont font preuve les microorganismes face à leur environnement.

La magnétoréception, une fonction unique dans le monde du vivant

Les microorganismes sont en effet capables de percevoir leur environnement et de réagir à leurs fluctuations à l’aide de récepteurs en tous genres. Certains sont dédiés par exemple, à la perception de la température, de la lumière, de la pression, de la gravité ou encore aux sources d’énergie ou à toutes sortes de signaux chimiques. Le champ magnétique terrestre est lui aussi au cœur de l’attention de certains microorganismes, spécifiquement étudiés au sein du BIAM. Ces microorganismes ont élaboré des structures sensorielles spécifiques ou des stratégies écologiques leur permettant d’exploiter les variations du champ magnétique terrestre. Pour comprendre comment, il faut savoir que les vecteurs de ce gigantesque aimant qu’est notre planète éloignent les pôles magnétiques Nord et Sud en tout point de la planète, sauf à l’équateur. Les lignes de champ géomagnétique résultent ainsi de composantes horizontales et verticales, et tout organisme capable de les mesurer peut ainsi différencier la profondeur de la surface mais aussi les quatre directions cardinales.

De nombreux animaux, notamment des oiseaux, des poissons et des insectes, possèdent naturellement cette capacité de géolocalisation pour s’orienter lors de leur migration sur de longues distances. Dans le monde microbien, la magnétoréception des bactéries repose sur la synthèse de chaines de nanocristaux magnétiques intracellulaires. C’est à l’heure actuelle, la seule forme de géolocalisation du monde animal à avoir été caractérisée par les scientifiques.

Sentir le champ géomagnétique : pour quoi faire ?

Si le lien entre géolocalisation et magnétoréception peut paraître intuitif chez les animaux, cela l’est moins chez les microorganismes. Pourtant c’est bien ce même rôle qui est également reconnu chez ces derniers. La magnétoréception guide leur déplacement dans les sédiments aquatiques tout en localisant plus facilement la profondeur de la surface. L’ensemble des microorganismes sensibles au champ magnétique décrits à ce jour associent la magnétoréception à des systèmes de senseurs dédiés à toutes sortes de signaux physico-chimiques grâce auxquels ils peuvent naviguer en direction ou à l’opposé de substances spécifiquement. Ce comportement de navigation, appelé magnétotaxie, n’était, jusqu’à récemment, observé que chez les bactéries magnétotactiques1 présentes dans des zones à fort gradient chimique, généralement rencontrées dans les sédiments aquatiques. En guidant leur déplacement le long des lignes verticales du champ magnétique plutôt que dans un volume, leur magnétisme leur permet de trouver plus facilement la zone au niveau de laquelle les conditions sont optimales pour leur croissance. Cependant, des découvertes coordonnées par les Drs. Caroline Monteil et Christopher Lefèvre, tous deux chercheurs au BIAM, ont révélé en 2019 que des protistes avaient également acquis cette capacité par une stratégie singulière2. En effet, certains protistes flagellés d’une dizaine de micromètres, ont acquis ce sens en s’associant à des bactéries magnétotactiques attachées à leur surface et devenues des symbiotes indispensables au cours de l’évolution. Cette découverte, « a révélé que la magnétotaxie était assurée collectivement, l’hôte eucaryote permettant la nage et la perception de l’environnement chimique d’une part, et les symbiotes bactériens fabricants les nano aiguilles magnétiques d’autre part. Cependant, nous ne savions pas encore comment tout cela interagissait d’un point de vue physique et quelles étaient les propriétés magnétiques », précise Christopher Lefèvre, un des coordinateurs de l’étude.

Image colorisée de cryomicroscopie à rayons X à transmission obtenue au synchrotron d’Alba en Espagne. Reconstruction du volume d’un holobionte magnétotactique montrant les chaines de nanocristaux magnétiques (en rouge) synthétisées par les symbiontes magnétotactiques attachés à la surface de leur hôte eucaryote (en cyan).

Quand la microbiologie rencontre la science des matériaux et les techniques d’imagerie de pointe

« L’étude d’un tel système biologique environnemental est extrêmement difficile de par leur taille, leur faible abondance et le manque de modèles en culture, repoussent les limites technologiques » poursuit le Dr. Daniel Chevrier, chercheur CNRS au BIAM, premier auteur et également coordinateur de l’étude. « Il nous a fallu déployer une armada d’approches et de technologies incluant la microscopie électronique à transmission et à balayage et le rayonnement synchrotron sur des cellules environnementales triées individuellement pour comprendre comment interagissent physiquement les symbiontes et leur hôte ainsi que l’origine des propriétés magnétiques de l’ensemble ». L’aboutissement de ce travail n’aurait pas été possible sans l’appui d’un réseau scientifique pluridisciplinaire, composé de sept instituts incluant le BIAM ainsi que l’IMPMC3 et le centre français de rayonnement synchrotron SOLEIL. « C’est grâce à ces associations scientifiques et technologiques que nous avons su démontrer comment les bactéries symbiotiques parviennent à optimiser le déplacement, l’ultrastructure et les propriétés magnétiques de leur hôte, de l’échelle microscopique à l’échelle nanométrique » pointe-t-il. Les auteurs ont ainsi pu présenter de manière explicite et détaillée les structures membranaires qui assurent l’alignement longitudinal des cellules les unes par rapport aux autres. Ils ont également démontré que les propriétés magnétiques des cristaux fabriqués maximisent le moment magnétique de chaque symbiote et celui de leur hôte. « De manière surprenante, ces résultats nous ont montré que la géolocalisation n’était pas le seul avantage à la fabrication des aimants, mais qu’il était possible que les nanoaimants pouvaient avoir un rôle dans la physiologie des microorganismes », complète Christopher Lefèvre. « C’est un bel exemple de projet transversal mettant en lumière l’importance de l’interdisciplinarité entre la science des matériaux et les techniques de l’imagerie pour mieux comprendre le fonctionnement du vivant » souligne le Dr Caroline Monteil.

1 Bactéries magnétotactiques : groupe de procaryotes mobiles dont la direction de mobilité est guidée par les lignes de champs magnétiques grâce à la biominéralisation de cristaux de fer magnétiques.

2 https://www.insb.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/des-bacteries-symbiotiques-lorigine-de-la-magnetoreception-chez-un-micro-eucaryote

3 IMPMC, Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie

RÉFÉRENCES

Auteurs : Daniel M. Chevrier, Amélie Juhin, Nicolas Menguy, Romain Bolzoni, Paul E. D. Soto-Rodriguez, Mila Kojadinovic-Sirinelli, Greig A. Paterson, Rachid Belkhou, Wyn Williams, Fériel Skouri-Panet, Artemis Kosta, Hugo Le Guenno, Eva Pereiro, Damien Faivre, Karim Benzerara, Caroline L. Monteil, Christopher T.Lefevre

doi/10.1073/pnas.2216975120