Face à l’augmentation et à l’intensification des épisodes de sécheresse menaçant les jeunes arbres, le BIAM participe au projet RESTORE qui propose une approche bio-inspirée et écologique pour renforcer la résistance des forêts. Sa solution ? Des communautés bactériennes sur-mesure, sélectionnées dans des sols partiellement privés de pluie, pour soutenir la croissance et la survie des jeunes plants transplantés en forêt. Un levier naturel prometteur pour la gestion forestière de demain.
Nous l’entendons partout : le changement climatique intensifie la fréquence, la durée et la sévérité des épisodes de sécheresses, particulièrement en région méditerranéenne. Cette pression accrue, menace directement les jeunes plants, dont les racines, encore peu développées, peinent à puiser l’eau nécessaire à leur croissance. C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet RESTORE, une collaboration germano-franco-brésilienne réunissant le BIAM (CEA/CNRS/AMU), la Fédération de Recherche ECCOREV, l’Université Fédérale de Londrina, le Helmholtz Centre et l’Université Technique de Munich, et l’ONF-PNRGF de Cadarache. Son objectif est ambitieux : développer des solutions basées sur la nature pour accroître la tolérance à la sécheresse des jeunes arbres méditerranéens en agissant directement sur le microbiote racinaire.
Des bactéries forestières sélectionnées dans des sols soumis à la sécheresse
Au cours de ses travaux, l’équipe a ainsi isolé plus d’un millier de souches bactériennes provenant de différents compartiments et profondeurs d’un sol forestier méditerranéen à l’Observatoire du Chêne Pubescent (O3HP)1. Les prélèvements ont été réalisés dans une parcelle de forêt soumise une sécheresse amplifiée par exclusion partielle des pluies depuis plus d’une décennie, simulant un climat attendu en 2100. Cette stratégie visait à maximiser la diversité écologique et fonctionnelle des isolats. Parmi elles, des bactéries naturellement adaptées au stress hydrique ont été sélectionnées pour leur capacité à produire des exopolysaccharides2, synthétiser des hormones végétales ou tolérer des environnements hostiles. Elles ont ensuite été assemblées en communautés synthétiques complémentaires, appelées SynComs, afin de diversifier leurs fonctions et leurs mécanismes d’action et surtout, de reproduire la diversité de l’environnement racinaire, en combinant les souches isolées de la racine elle-même et des différentes zones autour d’elle.
Mais l’approche ne se limite pas à l’ajout de bactéries bénéfiques, « elle repose sur un concept bio-inspiré permettant d’adapter chaque SynCom à la stratégie racinaire de l’arbre ciblé », développe Catherine Santaella, chargée de recherche au sein du BIAM et copilote du projet Restore pour la France qui poursuit, « chaque espèce végétale adopte ainsi une façon particulière de structurer ses racines pour mieux résister à la sécheresse. C’est ainsi que les espèces à stratégie conservatrice comme le chêne pubescent, produisent des racines épaisses et durables, qui tirent profit de microorganismes favorisant la rétention d’eau. A l’inverse, les espèces à stratégie acquisitive comme le sorbier domestique, misent sur des racines fines à croissance rapide, davantage stimulées par des bactéries favorisant la croissance. L’efficacité des SynComs repose ainsi sur un ajustement précis entre les fonctions microbiennes et les besoins physiologiques de la plante, établissant une véritable interaction plante-sol-bactérie » dévoile-t-elle.
« Pour valider cette approche, nous avons mené des essais en conditions contrôlées sur ces deux espèces emblématiques des milieux méditerranéens que sont le chêne pubescent (Quercus pubescens), doté d’une stratégie racinaire conservatrice, et le sorbier domestique (Sorbus domestica), caractérisé par une stratégie acquisitive » poursuit Ivan Aleksieienko, doctorant au BIAM également inscrit au sein du Projet Restore. « Les SynComs constituées de bactéries issues de sols forestiers soumis à la sécheresse, sont sélectionnées selon des fonctions clés comme la stimulation de la croissance ou l’amélioration de la rétention d’eau dans le sol. Une fois les SynCom adaptées à chaque stratégie racinaire, les jeunes plants ont été soumis à des périodes de stress hydrique en serre. Nous avons ensuite suivi l’évolution des symptômes de sécheresse ainsi que les performances physiologiques des plants traités par rapport à des témoins non inoculés ».
Des résultats prometteurs pour renforcer la résilience végétale
Particulièrement prometteurs, les résultats de ces tests montrent que chez le chêne pubescent, le taux de plants présentant des symptômes visibles de sécheresse a diminué de 47 % grâce à l’inoculation bactérienne. Chez le sorbier domestique, cette réduction atteint même 71 %. « Ces résultats surpassent largement ceux obtenus avec des souches bactériennes isolées, démontrant que la coopération microbienne et la compatibilité racinaire sont des leviers puissants pour améliorer la résilience des jeunes arbres » souligne Catherine Santaella. C’est la diversité fonctionnelle des SynComs – c’est-à-dire la complémentarité des rôles assurés par différentes souches au sein du consortium – qui permet cette efficacité renforcée. Chaque bactérie joue un rôle spécifique – rétention d’eau, stimulation hormonale, tolérance au stress…-, et leurs interactions concertées génèrent une synergie c’est à dire un effet supérieur à la somme des effets individuels. Ces résultats ont été appuyés par des analyses statistiques croisées, qui prennent en compte plusieurs variables à la fois. Elles ont permis de montrer la robustesse des associations plante-bactéries, et de valider le lien entre traits microbiens, stratégies racinaires et tolérance à la sécheresse.

Un outil adaptable partout dans le monde
Au-delà de ses applications locales, cette méthode offre une nouvelle voie adaptable pour restaurer les forêts dans des zones soumises à la sécheresse, en sélectionnant des consortia microbiens adaptés à chaque espèce et à leur environnement, ce qui en fait un outil de gestion de la biodiversité adaptable à l’échelle mondiale.
Perspectives sociétales : une nature renforcée par ses propres alliés
Les implications du projet RESTORE dépassent largement le cadre de la recherche fondamentale, et visent à résoudre des problèmes concrets en proposant des solutions applicables. En augmentant la survie des jeunes arbres plantés, cette approche peut améliorer durablement les résultats des campagnes de reforestation. Elle s’inscrit pleinement dans les stratégies d’atténuation du changement climatique, car des forêts saines stockent davantage de carbone atmosphérique et participent à la stabilisation des écosystèmes. « Elle soutient également les services écosystémiques essentiels à nos sociétés, comme la régulation des flux d’eau, la préservation des sols ou encore le maintien de la biodiversité » rappelle le jeune doctorant.

Sécurité alimentaire
Ces principes, transposés au domaine forestier pour répondre aux enjeux liés à la sécheresse, ont initialement été développés pour l’agriculture. Des consortia microbiens sélectionnés peuvent renforcer la tolérance au stress hydrique de certaines cultures alimentaires sensibles, contribuant ainsi à une agriculture plus durable. Enfin, cette approche repose sur des outils qui peuvent être appliqués dans d’autres régions soumises à la sécheresse, en adaptant les SynComs aux espèces végétales et aux caractéristiques des sols locaux. Elle démontre ainsi que la nature, renforcée par ses propres alliés microbiens, peut être un levier puissant pour relever les défis climatiques et écologiques de demain.
1 O3HP : CNRS INEE, infrastructure de recherche AnaEE
2 Les exopolysaccharides sont des polymères de sucres complexes qui agissent comme une colle naturelle favorisant l’adhésion du sol aux racines. Ces substances permettent ainsi aux bactéries de former des biofilms protecteurs autour des racines, créant un microenvironnement humide favorable, même en période de sécheresse. En retenant l’eau et en renforçant l’adhésion du sol aux racines, ces biofilms limitent les pertes hydriques et protègent les tissus racinaires contre les stress abiotiques
crédit photos © Cyril FRESILLON BIAM CNRS Images
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RÉFÉRENCES
Caixeta Oliveira 2, Ilja M. Reiter 5 and Catherine Santaella 1*