La magnétite, un témoin discret des premières formes de vie sur Terre

Une équipe de chercheurs du BIAM, en collaboration avec l’IPGP et l’IMPMC, a montré que la composition isotopique du fer contenu dans certains cristaux magnétiques, produits par différentes bactéries magnétotactiques, pourrait servir d’indice fiable pour identifier une origine biologique. Ces travaux offrent un nouvel outil prometteur pour distinguer les traces fossiles laissées par les premiers micro-organismes apparus il y a plus de 3 milliards d’années, et mieux comprendre l’histoire de la vie sur Terre.

Fossiles invisibles… mais magnétiques

Les toutes premières formes de vie sur Terre étaient des microorganismes unicellulaires fragiles qui n’ont laissé que très peu de traces directes. Quelques-uns cependant, ont un atout peu connu du grand public et sont capables de laisser des traces sous forme de cristaux magnétiques : les bactéries magnétotactiques (MTB), apparues il y a plus de 3 milliards d’années. Elles sont encore bien présentes aujourd’hui dans les environnements aquatiques et sont capables de fabriquer des cristaux magnétiques le plus souvent composés de magnétite (Fe₃O₄), à l’intérieur même de leur cellule. Ces cristaux nanométriques, alignés en chaîne, leur servent de boussole naturelle pour se déplacer le long des lignes du champ magnétique terrestre.

Ces structures peuvent rester intactes bien apprès la décomposition de la cellule pour se fossiliser dans les sédiments. Appelés « magnétofossiles », ces restes sont l’un des rares indices que nous possédons pour repérer la vie microbienne ancienne dans les archives géologiques. Encore faut-il réussir à distinguer la magnétite « biologique » produite par les bactéries de celle formée par des processus purement géologiques…

Un marqueur prometteur : la signature isotopique du fer

C’est sur ce point précis que le projet SIGMAG (ANR-18-CE31-0003) entre en scène. Mené par Vincent Busigny (Université Paris Cité, IPGP) en collaboration avec Christopher Lefevre (CNRS, BIAM) et Nicolas Menguy (Sorbonne Université, IMPMC), ce projet de recherche vise notamment à explorer un nouvel indice : la composition isotopique du fer1.

Grâce à des cultures optimisées d’une bactérie marine,  Magnetovibrio blakemorei MV-12, par l’équipe du BEAMM, l’une des équipes du BIAM, puis à des analyses de haute résolution en microscopie électronique au sein de l’IMPMC et en spectrométrie de masse au sein de l’IPGP, les chercheurs ont montré que les magnétites d’origine bactérienne sont enrichies en isotopes légers du fer. À l’inverse, la magnétite formée de façon abiotique est plus riche en isotopes lourds.

« Cette différence isotopique constitue un marqueur prometteur pour identifier, dans les roches anciennes, l’empreinte d’une activité biologique », expose Christopher Lefevre, responsable de l’équipe BEAMM.

Une biosignature, nouvel outil pour la paléontologie

Ces résultats renforcent les possibilités d’utiliser les isotopes du fer comme une biosignature, ouvrant de nouvelles perspectives : « le repérage de ces signatures spécifiques dans des sédiments anciens permettront de confirmer l’existence de bactéries magnétotactiques il y a plusieurs milliards d’années, et ainsi de mieux comprendre l’émergence des premiers métabolismes sur notre planète » poursuit le scientifique.

Au-delà de la simple chasse aux fossiles, ce type de recherche est crucial pour reconstruire l’histoire de la Terre, ses anciens environnements, et les grandes étapes de l’évolution biologique.

Et demain ?

L’aventure ne s’arrête pas là. Forts de ces résultats sur la souche marine – et précédemment sur une souche d’eau douce3 -, les chercheurs s’attaquent désormais à l’étude d’autres bactéries environnementales, notamment celles isolées dans la colonne d’eau du lac Pavin, un site naturel riche en bactéries magnétotactiques4. L’objectif : affiner encore la signature isotopique et la rendre applicable sur des roches anciennes, y compris celles datant de l’Archéen, période critique où la vie terrestre a émergé.

Une recherche fondamentale où la culture de microorganismes et des analyses de haute résolution s’allient pour percer les mystères les plus anciens sur l’apparition de la vie de notre planète.

Observation des magnétosomes dans les cellules MV-1 grâce à la microscopie électronique

Images montrant les structures magnétiques appelées magnétosomes dans des bactéries MV-1.
(A) Une cellule entière contenant une chaîne de magnétosomes.
(B) Chaînes isolées de magnétosomes : l’alignement des cristaux de magnétite est conservé grâce à une membrane encore présente qui les recouvres.
(C) Gros plan sur un magnétosome entouré de sa membrane (flèche noire) ; la ligne pointillée montre les contours externes de la membrane.
(D) Zoom sur un cristal de magnétite dont la membrane a été retirée.

Références:

  1. Busigny, V. et al. Iron isotope fractionation in magnetite produced by the marine magnetotactic bacterium Magnetovibrio blakemorei. Geochimica et Cosmochimica Acta 398, 83–98 (2025).
  2. Bazylinski, D. A. et al. Magnetovibrio blakemorei, gen. nov. sp. nov., a new magnetotactic bacterium (Alphaproteobacteria: Rhodospirillaceae) isolated from a salt marsh. Int. J. Syst. Evol. Microbiol. 65, 1824–1833 (2013).
  3. Amor, M. et al. Mass-dependent and -independent signature of Fe isotopes in magnetotactic bacteria. Science 352, 705–708 (2016).
  4. Busigny, V. et al. Mass collection of magnetotactic bacteria from the permanently stratified ferruginous Lake Pavin, France. Environ Microbiol 24, 721–736 (2021).