Le parcours scientifique pour nommer une bactérie

Isolée d’un lac au sud de la Californie, Magnetovirga frankelii est une nouvelle espèce de bactérie magnétotactique qui vient tout juste d’être caractérisée par le BIAM. Au-delà de l’enrichissement des connaissances sur le vivant, cette avancée s’inscrit dans une démarche de préservation de la biodiversité. Elle ouvre également des perspectives fascinantes sur leur capacité à s’orienter grâce au champ magnétique terrestre – une propriété prometteuse pour le développement de biotechnologies innovantes dans les domaines de la médecine ou de la dépollution.

Cette découverte est l’aboutissement d’un long parcours scientifique, entamé sur le terrain, dans un lieu aussi atypique que la bactérie elle-même. Tout commence en 2010, lors d’une mission d’échantillonnage dans la Salton Sea, un lac hypersalé formé en 1905 suite à une forte crue du Colorado. Dans ces conditions extrêmes d’hypersalinité, des chercheurs parviennent à isoler en culture une bactérie singulière, nommée temporairement « SS-5 ». Après des années de travaux menés exclusivement au BIAM (au sein des équipes BEAMM et MEM), cette souche est enfin décrite, caractérisée, et officiellement reconnue comme une nouvelle espèce.

Photo de microscopie électronique en transmission de Magnetovirga frankeli SS-5 montrant la production de cristaux de fer magnétiques prismatiques alignés en chaine le long de l’axe le plus long de la cellule ainsi que son flagelle polaire (flèche noire), des inclusions de soufres (S) et de polyphosphates (P).
Une première mondiale chez les Gammaproteobacteria
Photo du Pr. Dennis Bazylinski en train d'échantillonner du sédiment et de l'eau de la Salton Sea qui ont permis l’isolement en culture de la bactérie Magnetovirga frankelii SS-5.

Grâce à des analyses de génomique, de microscopie et de physiologie microbienne, les scientifiques ont montré que la bactérie SS-5 ne correspondait à aucun genre connu, et présentait des caractéristiques uniques. Elle est la première bactérie magnétotactique appartenant à la classe des Gammaproteobacteria à être isolée et caractérisée en culture pure. Ainsi, elle produit une chaîne de magnétosomes — de minuscules cristaux d’oxyde de fer — alignés dans sa cellule comme une boussole interne. Mobile grâce à un unique flagelle polaire, cette bactérie microaérophile ne se développe qu’en présence de composés inorganiques soufrés.

Un nouveau genre, Magnetovirga (du latin magneto pour le magnétisme, virga pour la forme de bâtonnet), a donc été créé. Le nom d’espèce, frankelii, rend hommage à Richard Frankel, pionnier des recherches sur les bactéries magnétotactiques. La bactérie a donc été reconnue sous le nom de Magnetovirga frankelii.

Une démarche rigoureuse pour une reconnaissance officielle

Derrière ce nom se cache un processus scientifique encadré par des règles strictes du Code international de nomenclature des procaryotes (ICNP). Pour qu’une bactérie obtienne un nom officiel, elle doit d’abord être isolée en culture pure (i.e. constituée d’une seule souche clonale), puis faire l’objet d’une caractérisation poussée (sa morphologie, son métabolisme et son profil génétique). Elle doit ensuite être déposée dans deux collections de cultures internationales reconnues – dans ce cas, la DSMZ en Allemagne et la JCM au Japon – afin de garantir un accès durable à la souche. Sa description doit enfin être publiée dans une revue spécialisée. Une fois ces étapes franchies, Magnetovirga frankelii devient une référence internationale dans son domaine.

Un nouveau modèle pour étudier les organites chez les bactéries

Magnetovirga frankelii est aujourd’hui utilisée comme organisme modèle au BIAM pour notamment étudier la magnétotaxie et la biogenèse des magnétosomes, ces structures étonnantes qui permettent à certaines bactéries de s’orienter comme une boussole.

Deux études sont en préparation au sein du BIAM afin de caractériser des propriétés uniques rencontrées chez cette nouvelles espèce.

Des retombées prometteuses pour la science et la société

Au-delà de l’avancée fondamentale, la découverte et la nomination de cette nouvelle espèce de bactérie ouvrent la voie à des applications potentielles, notamment dans les secteurs de la santé, de l’environnement ou des biotechnologies, que ce soit pour la bioremédiation des effluents, ou d’autres innovations encore à imaginer.