Certains génotypes de mil stockent le carbone atmosphérique plus efficacement que d’autres dans le sol

Une collaboration scientifique vient de démontrer qu’il est possible de quantifier la rhizodéposition de carbone par le mil et son stockage de carbone dans le sol, sur quelques semaines de croissance seulement, grâce à la mesure des abondances naturelles d’isotopes du carbone (δ13C et F14C). La comparaison de différents génotypes de mil a ainsi permis d’identifier les lignées qui permettent d’augmenter ce stockage tout en préservant les stocks de carbone plus anciens déjà présents. Ceci laisse envisager que la sélection variétale pourrait être une stratégie de mitigation du CO2 atmosphérique.

Parmi les stratégies de capture du CO2 atmosphérique pouvant être mises en œuvre pour atteindre la neutralité carbone en 2050, le stockage du carbone (C) dans les sols correspond à une piste prometteuse. Stocker le C dans les sols a le double intérêt de pouvoir contribuer à la réduction du CO2 atmosphérique et augmenter la fertilité des sols (cf. Initiative 4‰[1]). Dans cette perspective, une collaboration scientifique rassemblant deux équipes du CEA/DRF (BIAM/LEMIRE[2] et LSCE[3]), en association avec l’unité Eco&Sols (IRD, Montpellier) et avec le soutien financier des programmes DRF-Impulsion[4] et MOPGA[5], a entrepris une étude sur le mil, céréale principalement cultivée en Afrique et en Inde. Cette étude a permis de démontrer que l’utilisation des abondances naturelles d’isotopes du carbone (13C et 14C) permet de quantifier la rhizodéposition (apport de C par les racines au sol) sur quelques semaines de croissance. Concrètement, l’étude a évalué la potentialité à stocker du C dans un sol de lignées de mil ayant des capacités variables à agréger le sol autour de leurs racines.

L’agrégation des particules du sol aux racines fait partie des traits adaptatifs des plantes à certains stress abiotiques. Ce phénomène a été mis en évidence pour la première fois en 1887 sur des plantes grasses en contexte désertique. L’extension de ces travaux à des plantes cultivées a permis de montrer que ce mécanisme d’agrégation rhizosphérique contribuait à la tolérance des plantes au stress hydrique.

©Sitor N’Dour/IRD-UCAD
©Marcel Nahim-Diouf/IRD-UCAD

Pour évaluer la rhizodéposition du C dans le sol, les chercheurs ont cultivé quatre lignées de mil (Pennisetum glaucum, plante en C4 : δ13C de -12,8 ‰, F14C = 1,012) présentant différentes quantités de sol adhérant aux racines, dans un sol de type C3 (matière organique dominée par des restitutions de plantes en C3 avec δ13C de -22,3 ‰, F14C =1,045). Cette étude comparative a permis d’obtenir des résultats significatifs après seulement 4 semaines de culture, dévoilant une efficacité de stockage du C variable selon les lignées.

Figure 1: (B) Masse de carbone dérivé des plantes déposé (PDCD en mg C) dans le RAS des quatre lignées de millet perlé. (C) Quantité de carbone dérivé des plantes par biomasse végétale (en %) produite par les quatre lignées de millet perlé. Des lettres différentes indiquent une différence significative en utilisant une ANOVA et le test post-hoc de Tukey (p < 0,05).  

Les quantités de C dans la rhizosphère rapportées à la quantité de sol adhérant aux racines entre les différentes lignées de mil variaient significativement, suggérant ainsi une efficacité différente de rhizodéposition entre ces lignées. Par ailleurs, l’analyse combinée des mesures 13C et 14C a démontré que cette approche permet de mesurer l’apport du C végétal au sol, à un stade précoce de croissance du mil, et d’évaluer la part du C ancien du sol qui a été respiré par les microorganismes du sol lors de l’apport de ce substrat riche en énergie (« priming effect« ). Grâce à un modèle conceptuel intégrant les teneurs en C et les données de mesures des isotopes du carbone (13C et 14C), il a été possible de quantifier ce « priming effect » pour toutes les lignées de mil et de montrer qu’il était moins élevé pour les lignées présentant une forte agrégation rhizosphérique. « De cette façon nous avons pu démontrer que les lignées de mil, ayant plus de sol adhérant aux racines, sont capables de stocker plus de C autour des racines tout en préservant le C ancien », conclut Thierry HEULIN, chercheur au BIAM/LEMiRE.

Dans une prochaine étape, l’identification des gènes contrôlants ce caractère (étude en cours) pourrait permettre d’inscrire ces résultats dans des programmes de sélection variétale pour favoriser le stockage de carbone dans le cadre de cultures agricoles, visant à contribuer aux objectifs de neutralité carbone dans un horizon proche.

Pour en savoir plus…

Comment l’agriculture pourrait séquestrer le CO2 atmosphérique ?

 

RÉFÉRENCES

 

[2] Équipe d’Écologie Microbienne de la Rhizosphère UMR 7265 BIAM CEA-CNRS-AMU

[3] Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, UMR CEA CNRS UVSQ 8212, Université Paris-Saclay

[4] Fabrique de savoirs – DRF Impulsion (cea.fr)

[5] Make Our Planet Great Again

https://doi.org/10.5194/soil-8-49-2022